Débutons en disant que le Martinisme n’est pas de la franc-maçonnerie. Comme le disait Blitz (à l’origine de certains rituels Martinistes souvent associés à Teder ) : « Le Martinisme n’est pas maçonnique en lui-même, même s’il prend une forme maçonnique ».
Cependant, avant d’élaborer sur la maçonnerie particulière de Martines de Pasqually, qui fut le premier Maître de Saint-Martin, nous pensons devoir mettre en perspective la franc-maçonnerie elle-même. Il faut comprendre que la maçonnerie de l’époque de Saint-Martin était encore en recherche d’identité, passant d’opérative à spéculative. Cette transition est indispensable à comprendre pour entrevoir l’apport maçonnique de cette période à Saint-Martin, lui qui a baigné dans les sphères maçonniques de son époque. Cependant, bien qu’il en fut parfois participant, l’histoire nous apprend qu’il ne participa pas de façon assidue à des rencontres ou à d’autres voies maçonniques que celle en lien avec l’approche de Pasqually.
Les théories entourant les origines de la maçonnerie sont multiples. Certaines vont aller dans la direction que la maçonnerie est née d’une « époque relativement moderne, bien que basée peut-être sur quelqu’ancien système de moralité, d’allégories et de travail pratique »[1], mais d’autres vont plutôt affirmer que son origine est tellement ancienne qu’il est inutile d’essayer de la retracer.
Dans l’Encyclopedia of Freemasonry de Mackey[2], des historiens de la maçonnerie ont, à des époques différentes, attribué ses origines aux sources suivantes :
- à la Religion Patriarcale
- aux Anciens Mystères
- au Temple du Roi Salomon
- aux croisés
- aux Chevaliers du Temple
- aux Collèges Romains des Constructeurs
- aux maçons ouvriers du Moyen-âge
- aux Rosicruciens du 16e siècle
- à Olivier Cromwell
- au Prétendant en vue de la restauration de la Maison des Stuart sur le Trône Britannique
- à Sir Christopher Wren lors de la construction de la Cathédrale St-Paul
- au Dr Desagulières et à ses associés, en 1717
Certains pensent que les francs-maçons viennent des Templiers. Le plus fameux de ces personnages est Ramsay qui en parla lors de son discours en 1736, celui-ci avait pour but de donner une descendance chevaleresque à la franc-maçonnerie.
De même, il faut se souvenir qu’au moment de la naissance de la première loge spéculative à Londres, les loges de tailleurs de pierres avaient déjà disparu de cette région. Le seul récit qui démontre la création en 1717 d’un tel type de loge est un récit écrit par Anderson. Il n’existerait aucune autre preuve. Il faut savoir qu’Anderson, pour vivre, rédigeait des histoires généalogiques sur commande. Il lui fut mandaté d’écrire l’histoire de la franc-maçonnerie sous la supervision implicite de ceux-ci. Son travail permit d’asseoir la légitimité d’une institution, en fait toute jeune, et d’en créer son centre à Londres. Cette histoire se basa sur les anciens devoirs de maçons anglais et sur des traditions écossaises. Ceci n’est pas banal, car en fait il existait réellement, et bien avant Londres, des loges maçonniques en Écosse ; un endroit ou les tailleurs de pierres existaient toujours. L’histoire nous enseigne que c’est William Schaw qui en 1598-99 restructura les regroupements maçonniques d’Écosse en écrivant deux textes fondamentaux appelés : Les Statuts de Schaw. Ces deux textes, acceptés par la couronne d’Écosse, organisaient les regroupements en Loges et donnaient des devoirs précis aux maçons. La Chapelle Ste-Marie à Édimbourg vit le jour à ce moment. Elle tient encore aujourd’hui les registres de chacune de ses rencontres depuis 400 ans et prouve hors de tout doute cet événement. Pour cette raison, Schaw est considéré par plusieurs historiens comme le réel fondateur de la maçonnerie moderne. Schaw introduisit dans son système les mots de passe et les poignées de mains spécifiques selon le niveau de connaissance des maçons, ainsi que des rituels de passage[3].
Ces loges devinrent alors fort intéressantes même pour des gens non-maçons de métier. Ces nobles, surtout des voyageurs initiés par des loges écossaises, furent un vecteur précieux pour répandre cette philosophie et étaient appelés les : gentlemen masons. Nous retrouverons, plus tard dans nos écrits, une de ces personnes dans le père de Martinez de Pasqually, mais aussi en la personne de Moray qui fut un élément important de la fondation de la Royal Society (dont les premiers maîtres-maçons anglais faisaient partie) et qui se trouva à Londres seulement quelques années avant la fondation de la première Loge d’Angleterre et que Desagulières demande à Anderson d’écrire les constitutions de l’Ordre.
Pour éviter les querelles sans fin de la détermination de l’origine et de l’historicité de la maçonnerie, nous ne nous attarderons pas à démontrer ce qui n’est en fait pas notre sujet. Pour cette raison, nous ne ferons qu’un survol de l’histoire et regarderons, de façon ponctuelle, certaines périodes clés de la maçonnerie qui touche directement le Martinisme. Pour le reste, nous laisserons les historiens faire leur travail.
Cependant, nous pouvons affirmer qu’il est sans doute vrai que la maçonnerie spéculative que nous connaissons maintenant est née d’un développement moderne et récent. Mais il est aussi vrai que la maçonnerie moderne est certainement l’enfant du passé et qu’elle a hérité de traditions secrètes laissées, sous des appellations variées, par les chercheurs qui ont précédé sa création. Les francs-maçons sont-ils donc vraiment les constructeurs de cathédrales qui détenaient la connaissance de la construction des temples tout aussi intérieurs qu’extérieurs ? À cette question, nous pouvons répondre que si l’on considère la maçonnerie comme enseignant le début et la fin des choses, il est vrai de dire qu’elle a donc toujours existé, mais certainement pas comme maçonnerie spéculative.
Puisque nous devons être circonscrits à notre sujet, nous nous attarderons ici particulièrement à la France et uniquement à la période partant des premiers signes de la maçonnerie jusqu’à la période où Saint-Martin vécut.
La première organisation du métier de maçon en Angleterre se fit dans les alentours de 1356 et prendra plus de deux cents ans, vers 1598-99, avant que William Shaw publie les Statuts d’une Loge incorporant les règles d’entrée et passage d’un stade à l’autre par suite de divulgation de secret de travail. Cette Incorporation des Maçons d’Édimbourg, bien qu’encore une maçonnerie opérative, commença à développer une partie spéculative sous le nom de Rite Écossais. Cependant, c’est clairement en 1717, lors de la fondation de la Grande Loge de Londres, qu’on attribue le début de la maçonnerie spéculative anglaise ; une maçonnerie conservant le support allégorique de la maçonnerie opérative à laquelle s’ajoute celle de l’importance donnée au processus de construction, calqué sur la construction du Temple de Salomon comme témoignage du temple intérieur.
« La première loge maçonnique française s’installe à Dunkerque en 1721. Ce sont les Anglais, grands voyageurs et négociants, et les militaires qui favorisent l’implantation des loges maçonniques sur le territoire français. Au milieu du XVIIIe siècle, la France compte environ deux cents loges dont vingt-deux à Paris. À l’aube de la Révolution, on dénombre un millier de loges et probablement une trentaine de milliers de membres. »[4]
Pendant cette période, les constitutions d’Anderson sont écrites, en 1723, dans lesquelles nous trouvons les droits et les devoirs des francs-maçons spéculatifs. Ceci mènera à une expansion de la franc-maçonnerie en France et la fondation du Grand Orient de France, un rite purement masculin, en 1728. Lorsque Ramsay fait son célèbre discours, en 1736, il entraîne la prolifération de grades supérieurs aux trois grades de la maçonnerie opérative et qui garderont le nom de grades bleus (ou maçonnerie bleue). C’est un moment suffisamment important pour que plusieurs considèrent cette date comme la date réelle de la création de la maçonnerie spéculative en France. Mollier nous dit qu’il faudra cependant « attendre 1784 et la création du Grand Chapitre Général de France par des dignitaires du Grand Orient pour que la Maçonnerie française se dote enfin d’une structure durable pour administrer les chapitres de hauts grades »[5]. Ces degrés sont chevaleresques pour bon nombre d’entre eux et permettent « l’introduction de titres chevaleresques liés à la symbolique ésotérique de l’illuminisme théosophisant »[6]. Ils sont souvent reliés à « une tradition hermétiste, plus particulièrement alchimique, soit à une tradition magique et plus particulièrement de magie solomonienne »[7]. La théosophie martiniste est d’ailleurs considérée par plusieurs des membres comme les degrés au-delà du 33e degré en maçonnerie. Dans ce début de siècle, la Grande Loge de France voit aussi le jour, une Loge travaillant à la Gloire du Grand Architecte de L’Univers (GADLU).
En 1753, Willermoz, le futur confrère de Saint-Martin dans l’étude de la maçonnerie de Pasqually, devient Grand maître de la loge de La parfaite Amitié dont il écrit la constitution en 1756 avec une approche et une croyance en un christianisme ésotérique reliant à la fois les catholiques et les protestants. C’est cependant en 1768 qu’il rencontra Pasqually, ce qui transforma son approche et développa la partie théurgique et rituelle de sa maçonnerie. Bien que Willermoz est actif en maçonnerie dès les années 1750, après avoir accédé à tous les grades connus en ce temps, il reste déçu du côté souvent superficiel de la maçonnerie en comparaison de ce qu’il connut avec Pasqually. En 1773, il fut mis en contact avec des ordres maçonniques allemands à base chevaleresque et entre 1774 et 1778 (juste après la mort de Pasqually) Willermoz réforma le rite maçonnique pour établir le Régime Écossais Rectifié, à la fois en lien avec les ordres d’origine allemande et les enseignements généraux et théurgiques des Élus Cohens (théurgie abandonnée en grande partie par la suite).
Les années 1770 voient une expansion des obédiences. Nous y retrouvons le Grand Orient de France, la Grande Loge Nationale française, la reconnaissance des Loges d’adoptions féminines et comme dit ci-haut l’élaboration du Rite Écossais Rectifié. Cependant, le début de la Révolution française et la campagne antimaçonnique lancée par l’abbé Barruel mèneront à une sévère diminution du nombre de maçons. Il n’en restera à la fin qu’un dixième et ceux-ci auront une forte tendance à la politisation de la maçonnerie.
L’importance de cette énumération chronologique est de nous démontrer que les bases de la maçonnerie spéculative n’étaient pas encore établies au moment où Saint-Martin en est en contact. Il existait des branches plus politiques et éthiques et d’autres plus spirituelles, dont Willermoz en est un élément fort important, surtout après son apprentissage avec Pasqually. Dans cette période de l’histoire, il semble intéressant de voir que c’est davantage la pensée spirituelle de Pasqually, dont le martinisme tire une grande part de sa philosophie, qui s’implante et a une influence sur la maçonnerie plus que la maçonnerie sur la philosophie de Saint-Martin.
Même si les Constitutions d’Anderson décrivent une maçonnerie plus morale, l’élaboration des hauts degrés maçonniques permit à des branches de développer des buts spirituels. Un système symbolique associé à un travail rituel allégorique prédispose bien entendu au fait que le Plan se révèle à ceux qui possèdent la clé de la signification des symboles, des nombres et du rituel. La pierre brute doit devenir une pierre polie. Ce plan, c’est « la progression régulière d’un être humain passant des ténèbres à la lumière, de l’ignorance à la connaissance, de la mort à l’immortalité »[8].
Pour ces maçons, « Dieu le Très-Haut, le Grand Architecte de l’Univers vit et Est. Il s’exprime Lui-même en tant que Grand Géomètre de l’Univers, fondant les mondes sur le nombre et sur le verbe, et par Lui les mondes furent créés. L’homme est un fils de la lumière, un fils du Père et par conséquent immortel. Il est l’héritier des âges passés, un fils inhérent de Sa Lumière, et pourtant errant dans les ténèbres. Éventuellement, il trouvera son chemin de retour vers son origine.»[9]
Ceci est en tout point des idées martinésistes qui représentent la pensée hermétique que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et que le temple maçon est le représentant des cieux.
Comme nous avons vu jusqu’à présent, la partie spirituelle de la franc-maçonnerie fut influencée par la pensée de Pasqually qui fut aussi le premier Maître de Saint-Martin. Voyons maintenant qui était cet homme et son enseignement.
Martinez de Pasqually[10] fut un homme mystérieux dont peu de choses ont coulé de sa vie privée. Pour brouiller ses déplacements, il se faisait aussi appeler Jacques Delivron, Lioron, Joachim de la Tour, (ou Latour) ou encore Latour de la Case, de las Cases ou las Casas. On dit ainsi de lui qu’on savait quand il arrivait, mais on ne savait ni d’où il venait ni où il allait lorsqu’il partait.
Martinez de Pasqually
Il naquit en 1710 à Grenoble d’un père d’origine espagnole et d’une mère française. Même s’il se maria à l’Église catholique et qu’il fit baptiser ses enfants, plusieurs pensent qu’il était d’origine juive vu les influences kabbalistiques de sa doctrine. Rien de lui ne fut vraiment connu avant 1750, et ce, même de ses plus fidèles disciples. Ceci lui donna certainement un avantage pour laisser apparaître les multiples légendes de voyages qu’il aurait faits. Avant cette période, nous en savons simplement que les recherches ont permis de démontrer que dès 1737 il débuta une carrière militaire à Édimbourg[11], ensuite dans le Régiment de l’Isle en France et qu’il fut officier dans un régiment des Gardes suisses en Italie.
C’est en 1754 que les premières traces de la propagande de Martinez de Pasqually sont relatées dans plusieurs villes de France, entre autres : Marseille, Avignon, Narbonne, Foix, Toulouse, Lyon et Paris. En chaque ville, il fréquente des loges maçonniques pour y recruter de nouveaux membres pour son Ordre des Élus Cohens.
En 1762, il s’installa à Bordeaux pour y rester jusqu’en 1766. Il s’affilia avec la Loge Française dans le but de la rénover, ce qu’il fit pour la faire agréer par la Grande Loge de France en 1765. Cette période fut particulièrement importante, car en 1763 il présenta à la Grande Loge de France une patente maçonnique délivrée à son père par la grande Loge de Stuart en 1738 et signée par Charles Stuart lui-même, roi d’Écosse, d’Irlande et d’Angleterre, et ensuite transmis à Pasqually. À partir de ce moment, une dizaine de Temples Élus Cohens s’implantèrent en France, mais s’adressèrent particulièrement à une élite spirituelle. Entre 1765 et 1770, plusieurs grands noms se joignirent à la Loge, parmi ceux-ci nous retrouvons Jean-Baptiste Willermoz en 1766 et Louis-Claude de Saint-Martin en 1768.
En 1771, Saint-Martin quitta sa carrière militaire, d’où il avait rencontré Pasqually, pour en devenir son secrétaire personnel. Avec son aide, les rituels des divers grades ainsi que l’œuvre maîtresse de Pasqually, Le traité de la réintégration des êtres, sont écrits et les groupes se développent. En 1772, Pasqually part pour St-Domingue dans le but de recueillir un héritage.
Malheureusement, celui-ci mourra en septembre 1774 à Port-Au-Prince. Le lieu exact de sa sépulture n’a jamais été identifié jusqu’à aujourd’hui. Bien que l’Ordre ait poursuivi son chemin, cette partie d’histoire sonna la fin des enseignements Élus Choens pour Louis-Claude de Saint-Martin, et pour cette raison, nous nous arrêterons ici.
La doctrine de Pasqually se trouve principalement dans deux types de documents, soit son livre sur la réintégration des êtres[12], que nous utiliserons pour décrire cette partie, et les rituels de l’Ordre des chevaliers Élus Choens de l’Univers aussi basés sur cette même théosophie. En ce sens, pour comprendre la théurgie de Pasqually, il faut premièrement connaître sa cosmogonie.
Ce traité, non simple à lire, semble de prime abord ne pas avoir de structure ni suite logique et contenir une grande quantité de sous-entendus plus ou moins cachés qui ne se laisse découvrir qu’avec une lecture approfondie. Il s’agit d’une cosmogonie, d’ « une Histoire sainte, de l’homme et de l’univers dans leurs rapports réciproques et dans leurs rapports avec Dieu »[13]. En fait, Pasqually débute sa genèse au moment même des émanations spirituelles premières, avant ce qu’il appelle la chute des Esprits prévaricateurs et celle de l’homme dans la matière, pour se terminer par « la possibilité et la nécessité de la réintégration hominale, c’est à dire le retour de la race humaine dans un état primitif de sainteté, de Gloire et de puissance anté-catabolique »[14].
Pasqually nous explique qu’avant toute création, Dieu existe en Lui-même. Pasqually, kabbaliste de nature, exprime la nature divine de Dieu par une essence quadruple représentée soit par un triangle avec un point en son centre, par les 4 lettres hébraïques du tétragramme sacré (Yod – Hé – Vav – Hé), ou encore par le tétragramme sacré dans le triangle.
Tétragramme sacré selon Martines de Pasqually
C’est par la volonté toute puissante et la projection des idées de Dieu que se crée l’extériorisation et la première émanation des essences spirituelles; c’est à ce moment que Pasqually fait la distinction entre le Dieu quaternaire non manifesté et la trinité qui se réfère chez lui aux « trois facultés divines que sont la Pensée, la Volonté et l’Action, ou, dans un autre sens […], l’Intention, le Verbe et l’Opération »[15] et qui créera les différents mondes que sont : le monde divin, le monde céleste et le monde terrestre. Ainsi, l’essence divine est triple dans sa manifestation et elle est quadruple en son être. Voici un résumé de sa pneumatologie [16]:
Émanation divine et leurs fonctions
Ce tableau se répartit comme suit en image :
Les mondes selon Pasqually
Arriva ensuite ce que Pasqually appelle la prévarication des esprits pervers. Ces esprits voulurent par orgueil être égaux à Dieu et émaner, comme Lui, par eux-mêmes sans la collaboration de Dieu. Dieu s’en rendit compte et fit échouer le stratagème. Par punition, Dieu « ordonna aux esprits mineurs demeurés fidèles de créer – et ici il ne s’agit plus d’émanation, mais bien de création – l’univers matériel temporel afin d’y « contenir et assujettir les esprits mauvais dans un état de privation »[17]. C’est ainsi que la création de l’univers matériel s’effectue. Un univers créé pour des raisons de circonstance et qui disparaîtra lors de la réintégration des êtres. Ce nouveau domaine nécessita aussi l’émanation de l’esprit mineur, un être particulier ayant toutes les qualités du supérieur et du majeur pour avoir la puissance de surveiller les esprits pervers. Ce Mineur sera « Adam » ou « Réau » selon son appellation collective ou individuelle.
Malheureusement, l’influence des esprits prévaricateurs est grande sur le Mineur, et ceux-ci l’amènent à vouloir devenir un démiurge et refaire la même erreur qu’eux en tentant de créer à son tour des êtres semblables à lui qui lui obéiraient. Dieu s’en rendit compte, et à son tour l’Homme perdit ses droits et devint captif du monde matériel. Il « perdit souvenir de son nom spirituel, et ne fut plus qu’un être matériel temporel et de sujétion spirituelle »[18]. Après la première chute des êtres prévaricateurs, avec Lucifer en tête, la seconde chute fut celle de l’humain avec Adam en tête. L’Homme déchu aura maintenant l’obligation d’emprunter de la matière pour s’incarner et devra travailler à sa réintégration dans le divin. Heureusement pour lui, ayant été trompé par les êtres prévaricateurs et non ayant décidé de lui-même sa faute, il « obtint donc son pardon conditionnel et il eut désormais pour mission de vaincre les puissances matérielles et de se réintégrer dans sa situation première »[19].
Lorsque le Mineur aura vaincu les puissances matérielles, il pourra être de nouveau en communication directe avec l’Esprit Majeur et son ange initiateur. Il pourra communiquer avec lui sous le moyen de signes et de symboles, ce qui le conduira à la réintégration. À ce moment, le créateur se retirant, toute matière sera dissoute et retournera dans le divin.
L’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohens de l’Univers est véritablement une prêtrise pour ses adeptes ; le mot cohen en lui-même signifiant Prêtre. Cet Ordre sacerdotal ne fonctionne donc pas sous l’appellation de grades d’initiations, mais bien d’ordinations menant à la prêtrise du culte originel. C’est pour cette raison que Pasqually appelait la maçonnerie ordinaire (maçonnerie bleue) : la maçonnerie apocryphe, signifiant du même coup la supériorité de son Ordre. Son système, par degrés, comprenait les 3 premiers degrés équivalents à la maçonnerie bleue, suivie de grades supérieurs menant à celui le plus haut de Réau-Croix et dont chaque degré correspondait à une possibilité plus grande de réintégration. Il est clair que ces grades supérieurs ne sont plus de la maçonnerie proprement dite puisqu’ils impliquent non seulement un rituel, mais surtout une forme concrète de pratique théurgique. Des rites extrêmement complexes pour permettre ce que Pasqually appelait la réconciliation et ensuite la réintégration de toute la création en Dieu. « Au bas de l’échelle se trouvent les trois grades de la maçonnerie symbolique, connus de tous ceux que la question intéresse. Ces grades aboutissent dans ce cycle préliminaire à un quatrième : le Grand Élu qui complète et développe l’idée maçonnique dans sa totalité. C’est ce que Martinez appelait “la première classe”. Dans la deuxième, la doctrine maçonnique se hausse sur un plan supérieur. Elle comprend trois échelons : Apprenti-Cohen, Compagnon-Cohen et Maitre-Cohen. Alors, s’ouvre la troisième classe, le Temple proprement dit, avec deux échelons : le Grand Élu Cohen ou Grand Architecte, et le Grand Élu de Zorobabel. Enfin, voici le Saint des Saints, la quatrième classe, constituée par un seul échelon : le R+ .»[20]
C’est à partir de la troisième classe que l’occultisme martinésiste débutait réellement et que le travail de réintégration se faisait. Cette étape est aussi celle où le terme initiation laissait place à l’ordination. Nous retrouvons ici dans la hiérarchisation de ces classes, une allusion fort intéressante à la tétraktys sacrée: Le 1+2+3+4=10, la 1re classe comprenant quatre grades, la 2e classe trois grades, la 3e classe deux grades et la 4e classe un seul grade.
Nous disions plus haut que l’Homme sait s’il est sur le bon chemin par la communication symbolique qu’il entretiendra avec les anges. Ce langage, appelé Passe par les Élus Cohens, représente des glyphes lumineux et visibles, ou encore des sons. Ils confirment à l’adepte que son rituel témoigne des marques de reconnaissance et d’efficacité du divin et que celui-ci est sur la bonne voie de la réintégration. Ces signatures des anges affirment la collaboration et l’approbation de ceux-ci face à l’officiant et à sa démarche cérémonielle. Pasqually fit un tableau précis de ces 2400 signatures possibles permettant d’identifier l’ange en présence. Le secret des opérations théurgiques de Pasqually est donc d’arriver à s’approcher de la réintégration avec l’aide et la guidance des anges, dont l’apparition de leurs signatures signifie leurs coopérations et la bonne voie de l’adepte.
Voici une partie de ce tableau des signatures des anges :
Signatures d’anges
Dans toutes ces étapes théurgiques et son système, Pasqually tente de démontrer son enseignement par la théorie, mais aussi par la pratique. Il fut considéré comme le plus grand initié rencontré par ses adeptes et fidèles, y compris par Saint-Martin qui ne renia jamais son Maître et son enseignement.
Références
[1] F. BAILEY. L’esprit de la Maçonnerie, Association Lucis Trust, Genève,1990, p. 11. [2] A. G. MACKEY. Encyclopedia of Freemasonry. http://www.freemasons-freemasonry.com/encyclopedia_freemasonry.html. [3] C. BOURLARD, et F. DE SMET. The Scottish key, SimonGo production, 2007 (DVD). [4] Historia, Francs-maçons : révélations sur des secrets bien gardés, mars 2008, no 735, p. 46. [5] J.-P. BRACH. Études d’histoire de l’ésotérisme : mélanges offerts à Jean-Pierre Laurant pour son soixante-dixième anniversaire, Paris, Éditions du Cerf, 2007, p. 174. [6] A. FAIVRE. Accès de l’ésotérisme occidental, Paris, Éditions Gallimard, 1986, p. 219. [7] R. AMADOU. Les sociétés secrètes : entretiens avec Robert Amadou, Coll. Connaissance de l’Inconnu, Paris, Éditions P. Horay, 1978, p. 133. [8] F. BAILEY. L’esprit de la Maconnerie, Association Lucis Trust, Genève,1990, p. 14. [9] Ibid., p. 28. [10] Tiré en partie d’archives martinistes écrites par Constant Chevillon et Jean-François Var. [11] Ce lieu est important car il représente aussi l’emplacement de la Loge de la Chapelle de Ste-Marie, lieu ou William Schaw a créé le rite maçonnique écossais. [12] M. DE PASQUALLY. Traité de la réintégration des êtres, Paris, Bibliothèque Rosicrucienne, 1899, 388 p. [13] Tiré d’archives martinistes écrites par Jean-François Var. [14] Tiré d’archives martinistes écrites par Constant Chevillon. [15] Tiré d’archives martinistes écrites par Jean-François Var. [16] La théosophie de Martines de Pasqually, archives martinistes, auteur inconnu. [17] Tiré d’archives martinistes écrites par Jean-François Var. [18] M. DE PASQUALLY. Traité de la réintégration des êtres, Paris, Bibliothèque Rosicrucienne, 1899, p. 361. [19] Tiré d’archives martinistes écrites par Constant Chevillon. [20] Tiré d’archives martinistes écrites par Constant Chevillon.