À la différence de la maçonnerie ou des Rose-Croix, le Martinisme a une origine concrète et non mythique. Mais avant de voir les événements pertinents à la fondation de l’Ordre Martiniste, voyons pour débuter les deux personnages mis en cause, soit Gérard Encausse dit Papus et Augustin Chaboseau.
Gérard Encausse dit Papus
Gérard Anaclet Vincent Encausse, dit Papus, est né en Espagne le 13 juillet 1865 d’un père français et d’une mère espagnole. Il fut baptisé et marié à l’Église ce qui confirme son allégeance à la chrétienté. Avant son service militaire, il étudia en médecine. Cependant, dès les années 1880, il découvrit les œuvres de Louis Lucas et d’Éliphas Lévi qui le conduisirent à se passionner pour l’ésotérisme. Auteur très prolifique, il écrit, à partir de 1884, plus de 300 livres dont les thèmes sont aussi variés que les sciences occultes, le tarot, la kabbale, la magie, la réincarnation, les nombres, Martinez de Pasqually, Saint-Martin, la magie et l’hypnose, mais aussi des almanachs et des revues.
Encausse aurait été initié par Delaage en 1882 et en 1888 par Chaboseau. Cette seconde initiation à elle seule suffit pour clore les discussions sur la validité de sa filiation au martinisme, discussion tournant au fait que la tradition veut qu’entre Henri Delaage et Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) il y ait existé un initiateur dont le nom ne nous est pas parvenu[1]. Le nomen mysticum Papus lui vient du Nuctéméron d’Apollonius de Thyane traduit et reçu par Éliphas Lévi. Ce nom représente le nom du génie de la médecine[2].
« Sa rencontre avec M. Philippe de Lyon bouleverse sa vision du monde. Il deviendra le défenseur acharné de la mystique chrétienne et de la Voie cardiaque que Saint-Martin appelait la Voie Intérieure. […] Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il sera médecin-chef d’une ambulance, sur le front. Affaibli par ses années de labeur et les conditions de vie qu’il rencontre à la guerre, gazé, il tombera gravement malade et sera rapatrié pour mourir le 25 octobre 1916 à l’hôpital de la Charité. »[3]
Pour plusieurs, Papus fut un génie de l’occultisme et un auteur brillant. Homme de connaissances, de prières et d’actions, il donna l’impulsion et l’organisation au Martinisme contemporain comme Ordre de chercheurs et de chevalerie chrétienne.
Augustin Chaboseau[4]
Pierre-Augustin Chaboseau est né à Versailles le 17 juin 1868. Sa mère s’appelait Élisa-Célestine, et son père, un militaire, Antoine-Augustin Lepage. Chaboseau démontre très vite ses qualités intellectuelles exceptionnelles, dont la préoccupation majeure deviendra : la lecture, l’étude et la comparaison des textes sacrés des différentes religions. Il développe aussi un talent incontestable pour l’apprentissage des langues, ce qu’il utilisa amplement dans les multiples traductions qu’il fit plus vieux.
Bien que ses talents d’écrivain sont indéniables, il décida de se diriger vers des études de médecine. Il s’installa à Paris où il s’intéressa tellement au musée consacré à l’étude des religions et des civilisations de l’Orient qu’il en devint l’adjoint du conservateur.
C’est aussi à Paris que, sous la recommandation de ses parents, Chaboseau rencontre sa tante du nom de la marquise Amélie de Boisse-Mortemart. Leurs affinités mystiques les rapprochent rapidement. Celle-ci, bien qu’intéressée par le spiritisme, a une affection particulière pour le martinisme et elle décide, sous forme philosophique et mystique, de l’enseigner à Chaboseau. Il faut comprendre ici, que l’Ordre Martiniste et sa structure d’aujourd’hui n’existaient pas à ce moment et que l’enseignement se faisait par des initiateurs libres. Une fois l’étape d’apprentissage effectuée, elle l’initia en 1886, comme elle-même l’avait été par Adolphe Desbarolles disciple d’Henri de Latouche, une filiation directe remontant jusqu’à Saint-Martin.
Cette information que donne Augustin Chaboseau lui-même dans Mon Livre de bord, son journal personnel, est particulièrement importante, car elle précise que l’initiation qu’il reçut d’Amélie de Boisse-Mortemart n’était pas uniquement une initiation à la lecture de Saint-Martin, comme on le prétend quelquefois, mais une véritable initiation[5].
Lors de ses études en médecine, il rencontra un autre jeune interne du nom de Gérard Encausse. Les deux se reconnurent comme martinistes et décidèrent de structurer un Ordre martiniste qui vit le jour en 1891. Encausse et lui-même devinrent donc les cofondateurs de l’Ordre et s’échangèrent leurs initiations afin de s’assurer de la pérennité de l’Ordre. Cependant, Chaboseau, plutôt intéressé par l’altruisme, l’action sur le terrain et l’écriture, quitta les rencontres spéculatives en 1893.
Il quitta aussi la médecine pour se consacrer davantage à l’écriture. Ses œuvres sont de tous horizons tels que poétiques, littéraires, scientifiques et historiques. Ses engagements sociaux sont multiples, c’est pourquoi nous le retrouvons autant en politique, dans la justice, l’environnement, tout comme militant pour les droits des femmes, la Ligue des droits de l’homme et son implication dans la constitution des universités populaires. Entre 1898 et 1907, il donna plus de trois cents conférences.
Chaboseau resta actif intellectuellement jusqu’aux dernières semaines de sa vie. Il mourut le 2 janvier 1946.
Nous pouvons dire que si Papus fut l’organisateur du Martinisme moderne, Chaboseau en représente ses racines philosophiques.
La fondation de l’Ordre martiniste
Dès 1887, Papus (initié en 1882) transmet l’initiation Martiniste. Cependant, c’est en 1888 qu’il rencontre Chaboseau et que tous deux échangent leurs initiations et en 1891 qu’ils décident de structurer un Ordre Martiniste.
En 1891, Papus et Chaboseau rassemblent des amis et fondent le premier Supême Conseil de l’Ordre Martiniste. Une élection fut faite pour désigner le premier Grand Maître et, bien que celui-ci pensait que la tâche aurait dû revenir à Chaboseau, Papus accepta la fonction. Dans ce premier Conseil, on y retrouve Chaboseau et Encausse comme président, mais aussi : Stanislas de Guaita, Lucien Chamuel, François-Charles Barlet, Maurice Barrès, Joséphin Péladan, Victor-Emile Michelet et quelques autres pour former un Conseil de 21 membres. Ce Suprême Conseil a l’autorité pour délivrer les chartes des loges et l’administration de l’Ordre. Cependant, il faudra attendre 1897 avant qu’un rituel d’ouverture et de fermeture des travaux soit adopté. Par la suite, ceux-ci seront modifiés par les rituels de Blitz (attribués à Téder) en 1913. En 1898, le nombre de loges dépassait déjà la centaine.
Nous savons que Papus prit ses distances de la Société Théosophique de Blavatsky car il n’acceptait pas l’idée de la supériorité de la tradition orientale. Il préféra adapter la tradition occidentale et restaurer l’ésotérisme occidental en créant un Ordre enraciné dans l’ésotérisme chrétien.
En 1911, Papus signa aussi un traité d’alliance entre l’Ordre Martiniste et l’Église gnostique universelle. Cette alliance, confirmée plus tard par Philippe Encausse, sera une raison pour la liberté de religion et la création de l’Ordre Martiniste des Pays-Bas.
La Première Guerre mondiale est difficile et disperse les martinistes ainsi que le Suprême Conseil. À la mort de Papus en 1916, Charle Detré dit Téder, succéda à Papus et Bricaud succéda à son tour à Téder. Mais cette dernière succession ne fit pas l’affaire de tous et différentes branches du Martinisme se formèrent.
L’origine des rituels
Bien que le premier rituel d’ouverture et de clôture des travaux fut créé en 1897, il faut attendre 1913 avant qu’un rituel se standardise officiellement. Celui-ci se trouve dans le livre : Rituel de l’Ordre Martiniste[6] écrit par Téder duquel on y trouve à la seconde page la mention : « À dater de ce jour, le présent Rituel est rendu obligatoire pour toutes les Loges Martinistes répandues sur toute la surface du Globe. »[7]
Bien que nous savons que ce rituel s’est modifié au cours du temps, certains symboles y sont conservés intégralement et démontrent l’évidence qu’une seconde influence maçonnique a participé à l’élaboration du rituel.
Avant 1913, où Téder publie son livre de rituel Martinisme, déjà plusieurs Ordres maçonniques existaient et pratiquaient une rituelie. Le Rite Écossais Ancien et Accepté, avec ses 33 degrés, avait son rite dès 1804. Par la suite, la maçonnerie se transforma, en 1877 le Grand Orient supprime de sa Constitution toute référence à Dieu et prend part au combat pour la laïcité démontrant du même coup le passage de l’intention spirituelle à l’intention sociale, éthique et surtout politique. Dans les années de Papus, il y avait déjà une certaine politisation de la maçonnerie française. Cependant, nous savons que la seconde influence maçonnique qui toucha le Martinisme (la première étant celle de Pasqually) ne provient pas de Papus mais bien de la structure rituelle du livre attribué à Téder. L’histoire démontra que Téder n’en est pas le principal auteur et que celui-ci l’a repris d’Edouard Blitz, qui lui eut une carrière maçonnique importante. Entre 1883 et 1901, Blitz s’élèva au plus haut degré de plusieurs obédiences maçonniques européennes et américaines dont, entre autres, le Rite Écossais Rectifié de Willermos, une maçonnerie davantage spirituelle.
Suite à son initiation Martiniste, Papus l’autorisa immédiatement à établir l’Ordre aux États-Unis, ce qui fut fait dès 1894 comme Souverain Délégué National.
Blitz débuta immédiatement l’élaboration et l’écriture des rituels d’initiation et du symbolisme ésotérique de l’Ordre en s’inspirant des écrits de Saint-Martin, mais aussi de Papus, d’Éliphas Lévi aussi bien que des travaux maçonniques de Mackey et Macoy.
Rapidement, dès 1895, Blitz écrit à Papus pour lui dire que, pour être plus complet, l’Ordre devrait être divisé en 7 degrés ayant chacun leur temple particulier. De même, les initiations devraient inclurent des notions de Kabbale, de symbolismes numériques et autres éléments ésotériques. Dans la même année, Blitz écrit le rituel du premier degré ainsi que les grandes lignes des éléments du second degré et envoya le tout en France. « It was not Masonic itself, but used a Masonic form »[8]
Au niveau de la gestuelle, beaucoup moins importante que dans la franc-maçonnerie, il s’installe une triangulation porteuse de sens associée à une parole et dont ces deux composantes se complètent en synergie, mais avec une voie du cœur qui adoucie la rigidité. Le principe de la triangulation de la parole utilisée dans les loges maçonniques ne s’applique pas directement au Martinisme puisque les fonctions de Surveillant n’existent pas. Ce principe sert à éviter toute communication interpersonnelle pour ne rester que collective. Cependant, cela ne veut pas dire pour autant que les membres ne doivent pas demander la parole avant de parler et qu’une certaine maturation de la réflexion ne soit obligatoire avant de demander la parole. Là où le Martinisme rejoint davantage les principes de triangulation maçonnique est envers l’espace du rituel, car chaque chose et chaque personne détiennent un espace précis et signifiant.
Blitz, maçon affirmé, voyait le Martinisme comme un possible cercle supérieur de la maçonnerie et avait l’intention de l’instaurer à cette position. Cependant le Martinisme étant mixte, il se heurta au problème du refus des femmes dans la maçonnerie. Ce problème l’empêcha de développer le Martinisme comme il l’entendait. La frustration de Blitz augmenta davantage lorsque Papus lui ordonna de ne pas demander d’argent aux membres bien que celui-ci payait plus par lui-même qu’il n’en recevait.
Au cours de l’année 1901, les communications devinrent de plus en plus tendues entre Blitz et Papus. En 1902, le Suprême Conseil de France avisa Blitz que la direction de l’Ordre aux États-Unis lui était retirée.
Quelques années plus tard, Téder publia sous son nom ce que Blitz avait écrit. Le Martinisme prendra à partir de ce moment une forme rituelle semi-maçonnique (il faut se souvenir que Blitz étant Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte du rite Écossais Rectifié, une part de sa maçonnerie est dérivée de Martinez de Pasqually par Willermoz) dans lequel la mystique de Saint-Martin et les enseignements judéo-chrétiens prendront une large place.
Références
[1] Ordre martiniste traditionnel, http://www.martiniste.org.[2] Le Nuctéméron d’Appolonius de Thyane se divise en 12 heures, dont chacune représente un stade d’évolution. Il est d’ailleurs courant chez les martinistes d’utiliser le terme H* (Heure) pour déterminer le degré d’ouverture du temple. Papus s’y trouve être le génie de la médecine attribué à la première heure dont l’idée de base est : Dans l’unité, les démons chantent les louanges de Dieu, ils perdent leur malice et leur colère.
[3] Tiré d’archive martiniste.
[4] Bien que cette biographie provienne de différentes sources, l’ensemble pourrait être trouvé sur le site de l’Ordre martiniste Traditionnel, www.martiniste.org.
[5] Ordre martiniste traditionnel, http://www.martiniste.org.
[6] TEDER, Rituel de l’Ordre martiniste, Paris, 1913, 170 p.
[7] Ibid., p.2.
[8] Gnostique.net, http://www.gnostique.net/initiation/blitz.htm. Ce site publie une fort intéressante bibliographie accompagnée et soutenue de lettre entre Blitz et Papus.