Ces quelques lignes ne sont que le prélude plutôt extérieur de la vie intérieure de Saint-Martin. Pour cette raison, nous ne ferons qu’un court survol de sa vie, afin de voir qui il était aux yeux de l’histoire, pour ensuite prendre davantage de temps pour apprivoiser son intérieur spirituel et sa théosophie.
Louis-Claude de Saint-Martin appartenait à une famille noble, tant du côté de son père que du côté de sa mère (Louise Tournyer), anoblie pour des services militaires sous Louis XIV. Lui-même naquit le 18 janvier 1743 à Amboise, en France, d’où son appellation de Théosophe d’Amboise qu’il portera plus tard. Sa famille était catholique et il fut baptisé le lendemain, en l’église Saint Florentin.
Sa mère mourut, il n’avait que trois ans, après avoir mis au monde quatre enfants en quatre ans et demi de mariage. Son père, maire d’Amboise, se remaria. La belle-mère du jeune Louis-Claude est très bonne et généreuse envers lui et Saint-Martin le décrit fermement dans son livre Mon Portrait historique et philosophique : « C’est à elle, que je dois peut-être tout mon bonheur, puisque c‘est elle qui m’a donné les premiers éléments de cette éducation douce, attentive et pieuse, qui m’a fait aimer de Dieu et des hommes. »[1]
À partir de 12 ans, il fit de bonnes études chez les bénédictins au collège de Pont-le-Voy, puis il fit le droit entre 1759 et 1762. Pendant cette période, il poursuivit aussi la lecture de plusieurs philosophes dont il s’indigna en disant : « Il y a un Dieu, j’ai une âme, il ne faut rien de plus pour être sage. »[2] Son père, le destinant à la magistrature, le fit recevoir avocat au présidial de Tours malgré son jeune âge. Mais Saint-Martin s’attachant bien moins aux règles du droit qu’aux bases des lois naturelles[3], ce métier ne lui plut pas et il démissionna.
En dépit de sa santé fragile et de ses intérêts intellectuels, il opte pour une carrière militaire. Ce choix se fit non pas par ambition, mais parce que ce métier lui laissait plus de loisir et de temps pour s’occuper de ses méditations philosophiques et poursuivre l’étude de la religion et de la connaissance[4].
À 22 ans, le duc de Choiseul, une connaissance de la famille, le fit entrer en qualité d’officier au régiment de Foix, alors en garnison à Bordeaux. Saint-Martin montera en grade jusqu’à en être lieutenant. Il sera militaire pendant 6 ans seulement puisqu’il résigne en 1771 pour se livrer uniquement à l’étude de la spiritualité et devenir le secrétaire particulier de Pasqually ; un personnage rencontré dans l’armée et qui l’avait déjà initié à son rite maçonnique des Élus-Choens. Dès l’année suivante, en 1772, Saint-Martin obtient des Passes au cours de l’opération d’équinoxe et il fut reçu Reau-Croix dans cet Ordre. Vous pouvez trouver plus d’informations sur ce système initiatique dans la partie sur Martinez de Pasqually.
Il se consacra dès lors à la réflexion et à la rédaction de nombreux ouvrages dont certains sont publiés sous le pseudonyme du Philosophe Inconnu. Dévoué à l’étude et à l’enseignement de sa philosophie religieuse, il voyagea beaucoup en Italie, à Strasbourg et en Angleterre, où en plus de participer à de nombreux salons, il rencontra l’astronome Herschel et fut mis en contact avec les écrits de William Law, le grand interprète de Boehme. En Russie, il rencontra le Prince Galitzin qui devint son élève et son ami. Cependant, c’est lorsque Mme. De Boecklin, avec Rodolphe Satzmann, lui traduisit une page d’un livre de Jacob Boehme qu’il en comprit toute la profondeur, ceci changea sa vision et sa vie. Il se mit à étudier et traduire ses œuvres. À Paris, il fut arrêté durant la Révolution de 1789, simplement parce qu’il était un noble de naissance. Heureusement, ses affiliations avec les francs-maçons l’aidèrent à s’en sortir.
Saint-Martin passa ses dernières années à répandre sa doctrine par ses écrits et ses correspondances, ainsi que d’accomplir des actes de bienfaisance et de charité. La veille de sa mort, il participait encore à une grande discussion sur la science des nombres avec le géomètre, M. de Rossel[5]. Il savait déjà que la même maladie qui avait emporté son père était pour l’emporter aussi et ne fut donc ni surpris ni épouvanté par la mort.
Il mourut subitement, le 13 octobre 1803, d’une attaque d’apoplexie, pendant qu’il était en prière. Ses derniers mots furent : « Je sens que je m’en vais. La Providence peut m’appeler ; je suis prêt : les germes que j’ai tâchés de semer fructifieront »[6] et pour exhorter ceux qui l’entouraient à mettre leur confiance en Dieu et à vivre comme des frères[7]. Il fut enterré à Chatenay en France.
Tout au cours de sa vie, il ne se mêla pas aux mouvements politiques de la Révolution française. Son rang de noble l’obligea par contre à quitter Paris. Les autorités de sa commune lui demandèrent d’être enseignant pour un temps[8] et de dresser l’état des livres donnés à la ville d’Amboise par le département, héritier des bibliothèques monastiques[9]. Cette période ne fut pas de tout repos, il en dit : « Je gèle ici, faute de bois, au lieu que dans ma petite campagne je ne manquerais de rien ; mais il ne faut pas regarder à ces choses-là : faisons-nous esprits, il ne nous manquera rien. »[10]
Saint-Martin vivait presque isolé pour se concentrer dans ses théories mystiques et dans la traduction de Boehme. Il ne fait pas de bruit ; il préfère faire du bien, silencieusement et dans l’ombre.
« Une anecdote célèbre, racontée avec charme par M. de Gérando, fait voir quelle grâce touchante et quelle simplicité cet excellent homme apportait dans la vertu. Il aimait le spectacle, et resta quinze années sans entrer à aucun théâtre. Il partait souvent de chez lui pour aller aux Français ; mais, chemin faisant, une réflexion l’arrêtait. Au lieu d’admirer une simple image de la vertu, avec la même somme, il pouvait la réaliser, il pouvait faire une bonne action. Il montait dans quelque mansarde, y laissait la valeur de son billet de parterre, et rentrait chez lui sans regret. »[11]
Il ne semblait pas attaché à la terre et le monde était pour lui qu’un vaste théâtre de folies dont il faut sortir pour en être guéri[12]. Bien qu’il fut toujours un bon citoyen, lorsqu’il sortait, il cherchait surtout la compagnie de gens initiés dans les sociétés secrètes et les mystiques et philosophes où ses idées étaient reçues avec beaucoup d’enthousiasme. Il était aimé et recherché. On l’invitait avec curiosité, et l’on avertissait mystérieusement les amis que l’on aurait à sa soirée le Philosophe inconnu.
Bien qu’il avait une santé fragile et un corps chétif, on dit de lui qu’il était un penseur original, un homme gai de bonne compagnie, un caractère doux et dont ses connaissances étaient très variées. Il aimait les arts et la musique. Il avait pour les femmes un attrait combattu. Il se décida, malgré tout, au célibat. Les raisons qu’il en donne sont presque toutes tirées des saintes nécessités de son sacerdoce[13]. Cependant, il dit aussi : « Une des raisons qui s’opposèrent à mon mariage, a été de sentir que l’homme qui reste libre n’a à résoudre que le problème de sa propre personne, mais que celui qui se marie a un double problème à résoudre[14]. » Nous savons qu’il avait une admiration pour les femmes, il en disait : « La femme est meilleure ; l’homme est plus vrai. — L’homme a en propre le don des opérations, et la femme celui de la prière. — L’homme est l’esprit de la femme, et la femme est l’âme de l’homme[15]. »
Dans cette époque de l’illuminisme, qui est habituellement comprise entre 1770 et 1815, Saint-Martin prend toute sa place. Si bien qu’il y ait une grande effervescence d’idées mystiques en Allemagne, Saint-Martin correspond parfaitement à la définition du mot illuminé, car il signifie originairement « un homme dont la raison et les connaissances naturelles étaient rectifiées, soutenues, éclairées par l’Esprit-Saint. »[16] De ce fait, on comprend pourquoi la mystique a pris une place importante pendant cette période, elle est souvent mise en réaction au rationalisme des Lumières. Pourtant, elle n’est aucunement le contraire des Lumières, mais simplement une logique différente[17].
La théosophie de Louis-Claude de Saint-Martin se retrouve dans une longue liste d’oeuvres dont nous n’aurons malheureusement pas la possibilité d’expliciter ici de façon exhaustive.
Saint-Martin n’écrivait pas ses livres pour en faire des œuvres publiques dans un dessin de les publier ou d’en compter sur leur succès. Il disait : « J’ai senti souvent en l’écrivant que je faisais là comme si j’allais jouer sur mon violon des valses et des contredanses dans le cimetière de Montmartre, où j’aurais beau faire aller mon archet, les cadavres qui sont là n’entendraient aucun de mes sons et ne danseraient point. »[18] C’était des œuvres vives qui n’étaient adressées qu’à quelques personnes choisies, des admirateurs, des disciples ou des amis, qui le consultaient sur sa doctrine. Cependant, ses écrits sont vite appréciés, partagés et par la suite édités et publiés. Il fut un écrivain remarquable et ses œuvres sont encore étudiées aujourd’hui, non seulement pour leur importance mystique, mais aussi pour leur structure littéraire. M. Coussin dans une revue sur les systèmes philosophiques au dix-huitième siècle défini qu’ : « avec une précision lumineuse en quelques traits de sa plume énergique et élégante, marque à Saint-Martin une place d’honneur dans le groupe des mystiques français : Il est juste de reconnaître que jamais le mysticisme n’a eu en France un représentant plus complet, un interprète plus profond et plus éloquent, et qui ait exercé plus d’influence que Saint-Martin.»[19]
Voici la liste des écrits connus de Saint-Martin :
- Des Erreurs et de la Vérité ou les hommes rappelés au principe universel de la science (1775)
- Ode sur l’origine et la destination de l’homme (1781)
- Tableau naturel des rapports qui unissent Dieu, l’Homme et l’Univers (1782)
- Discours sur la meilleure manière de rappeler à la raison les nations livrées aux erreurs et aux superstitions (1785)
- L’Homme de Désir (1790)
- Eclair sur I ‘association humaine (1791)
- Ecce Homo (1792)
- Le Nouvel Homme (1792)
- Lettre à un ami, ou considérations sur la Révolution française; suivies du précis d’une conférence publique (1795)
- Stances sur l’origine et la destination de l’homme (1796)
- Eclair sur l’association humaine (1797)
- Réflexions d’un observateur sur la question: Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d’un peuple (1797)
- Le Crocodile, ou la guerre du Bien et du Mal arrivée sous le règne de Louis XV (1799)
- Essai sur les signes et sur les idées (1799)
- De l’Esprit des choses (1800)
- Traduction de : L’Aurore naissante de Jacob Boehme (1800)
- Le Cimetière d’Amboise (1801)
- Controverse avec Garat (1801)
- Le Ministère de l’Homme-Esprit (1802)
- Traduction de : Des trois principes de l’essence divine par Jacob Boehme (1802)
- Mon portrait historique et philosophique (1803)
- Oeuvres posthumes (1807) – Deux volumes
- Traduction de : Quarante questions par Jacob Boehme (1807)
- Traduction de : De la Triple vie de l’homme par Jacob Boehme (1809)
- Des Nombres (1843)
- Correspondance avec Kirchberger (1862)
Par la suite, une foule de livres posthumes avec des écrits de Saint-Martin a été publiée. Cependant, deux nous semblent plus importants, ils sont une compilation de pensées et d’aphorismes de Saint-Martin :
- Le livre rouge
- Mon livre vert
La mystique et la théosophie de Saint-Martin
Si, sur ce site, nous avons pris le temps de parler de la maçonnerie de Pasqually et de la mystique de Boehme, c’est que Saint-Martin en est le point d’union. Nous pourrions simplement vous confier à faire l’exercice de synthèse pour comprendre qui est Saint-Martin. Cette synthèse se trouve dans ses écrits, sa philosophie et sa théosophie qui créa le fondement du Martinisme. Nous pourrions donc dire qu’à ses débuts, le Martinisme correspondait bien à la définition du dictionnaire qui est simplement ceux qui suivent la « doctrine mystique de [Louis-] Claude de Saint-Martin »[20].
Instigateur du Martinisme de par sa théosophie et son occultisme judéo-chrétiens, nous savons aussi que Saint-Martin n’est pas le fondateur de l’Ordre Martiniste. Mais a-t-il formé une société secrète d’initiés ? Nous allons probablement ici à l’encontre de plusieurs historiens, mais nous affirmons que nous sommes en mesure de penser qu’il créa effectivement une telle société. Bien que, dans les lettres à Kirchberger, on trouve clairement dit : « la seule initiation qu’il prêchait était celle par laquelle nous pouvons entrer dans le cœur de Dieu »[21], nous pouvons aussi retrouver des traces de rencontres que Saint-Martin faisait en groupes avec ceux qu’il appelait sa société et qui l’entouraient dans ses dernières années[22]. Dans un vieux livre de 1828, donc seulement 25 ans après la mort de Saint-Martin (et bien avant l’organisation du martinisme en un Ordre structuré), on y trouve mention du système initiatique de Saint-Martin avec 3 degrés : « tel ne l’est qu’au premier degré ; tel autre au second, au troisième »[23]. De même, ce livre ajoute une précision sur le côté secret de ces rassemblements : « Cependant, quoique la lumière soit faite pour tous les yeux, il est encore plus certain que tous les yeux ne sont pas faits pour la voir dans son éclat ; et le petit nombre de ceux qui sont dépositaires des vérités que j’annonce, est voué à la prudence et à la discrétion par les engagements les plus formels. »[24]
Comme nous le savons, Saint-Martin appartint à l’Ordre des Élus-Cohens de l’Univers et au Rite Écossais Rectifié. On sait aussi qu’il sollicita son admission dans la 12e classe des Philalèthes, sans semble-t-il ne jamais en faire partie. Il a été reçu apprenti dans une loge régimentaire : la loge Josué du régiment Foix-infanterie et le capitaine Grainville le parraina dans l’ordre des Élus-Cohens. Il fut initié par Baudry, chevalier de Balzac, qui lui transmit les trois grades Cohens, entre l’été 1765 et l’hiver 1768 et par la suite fut ordonné au sacerdoce Cohen par Pasqually lui-même. Il déclare que c’est à celui-ci qu’il doit son introduction à la vérité supérieure. Évidemment, toute cette approche théurgique n’est pas à laisser de côté dans la pratique de Saint-Martin puisqu’il ne renia jamais ce qu’il eut appris avec Pasqually, et ce, même après sa découverte, à partir de 1788, de Jacob Boehme qui lui en apprit tant sur la Sophia. Son travail fut alors de marier, comme il disait, ses deux maîtres[25].
Selon lui, les méthodes théurgiques de Pasqually pour atteindre la réintégration ne sont valables que pour ceux qui sont dotés de pouvoirs réels et particuliers. Seuls des grands missionnés soutenus par les égrégores humains peuvent pratiquer valablement cette approche. Saint-Martin croit que pour la majorité des humains, le passage se fait plutôt par le cœur. À la question qu’il posa à Pasqually « Faut-il tant de choses pour prier Dieu ? »[26] il ne reçut que la réponse qu’il faut se contenter de ce qu’on a !
À la mort de Pasqually, Saint-Martin s’oriente vers une haute mystique intérieure, c’est la voie cardiaque ou l’approche martiniste qui apparaît[27]. Plus encore que Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin s’éloigne d’un mysticisme trop passif et trop occupé par le salut personnel. C’est un théosophe dont, comme chez Pasqually, la théorie « est nécessaire surtout dans la mesure où elle fonde une action – qui, pour lui, peut se passer d’opérations cérémonielles »[28] mais qui doit être un travail permanent de l’homme sur soi et sur le monde. Dans l’action, toute âme est égale, ainsi Saint-Martin autorisait l’initiation des femmes aussi bien que des hommes en pensant que l’âme d’une femme a la même source que celle incarnée dans un corps masculin.
Il se mit donc au service d’une technique plus universelle pour atteindre la réintégration ; s’éloignant des formes extérieures de la théurgie pour s’intérioriser. Il se détacha ainsi avec le temps d’un système qu’il jugeait trop compliqué.
Le concept central, de provenance Martinésiste, dans la philosophie mystique de Saint-Martin est que l’être humain reste divin en dépit de la chute rapportée dans les Écritures. En lui repose une qualité hautement spirituelle, laquelle il n’est pas toujours conscient et qu’il doit développer ou libérer en se libérant lui-même de l’illusion du matérialisme.
Saint-Martin est chrétien, il croit à la vérité de la parole révélée et à la divinité du médiateur. Il est intéressant de voir que Saint-Martin est parfois vu comme plus orthodoxe que l’Église elle-même. Pourtant, sa théosophie n’a rien de bien commune avec l’Église. Il en dénonce d’ailleurs les mœurs frivoles d’un clergé et d’une religion qui, déshonorée par le trafic et l’imposture, n’est plus le salut de l’humanité[29]. Il dénonce le dogmatisme qui promet un accès facile au savoir en exploitant la paresse intérieure de ceux qui ne veulent pas se donner la peine de chercher profondément. L’homme ne doit pas être une machine à recevoir des idées toutes faites qui le dispense de tout effort intellectuel et spirituel. Saint-Martin n’admet pas la discipline de l’ignorance et de la routine.
Il s’éloigne visiblement de la discipline catholique face à la nécessité du culte et à la légitimité du sacerdoce. Il ne condamne pas le culte, mais le voit comme une pratique extérieure souvent inutile et destinée aux âmes grossières. « Notre culte religieux, dit-il, tel qu’il est devenu par l‘ignorance, n‘avance pas beaucoup l‘homme ; mais, malgré son efficacité précaire, il a une pompe qui fixe les sens grossiers et inférieurs, et qui les empêche, au moins pour un moment, de s‘extravaser, comme ils le font sans cesse. »[30] Pour le sacerdoce, il l’accuse d‘avoir corrompu la sincérité du dogme, et mis son intérêt à la place de la vérité[31].
« C‘était l‘Église qui devait être le prêtre, et c’est le prêtre qui a voulu être l‘Église »[32]
Le secret subtil de la mystique et de l’opération nous enseigne, selon lui, davantage que l’enseignement traditionnel pour la masse. Ainsi, dans sa théosophie, Saint-Martin oppose directement le dogme de l’autorité à la doctrine individuelle. Pour lui, la seule autorité valable est celle qui doit venir de l’inspiration du Saint-Esprit[33]. Du même coup, il disait qu’il ne fallait pas douter qu’avec un zèle sincère et la persévérance, il était possible d’avancer de plus en plus dans la nouvelle route qui s’ouvre à notre esprit. Mais que c’est Dieu, et non une chétive créature comme lui, qui peut diriger dans la carrière spirituelle et faire atteindre le but.
Saint-Martin distingue les êtres matériels du principe de la matière. Si les êtres matériels sont divisions, le principe de la matière ne peut l’être. Le principe est indécomposable et possède des vertus d’unification. De même, il ne peut y avoir d’espace absolu indépendant des corps qui le remplissent, chaque être corporel produit son étendue de lui-même et la détruit lorsqu’il périt en se résolvant dans son principe. Il y a donc corps partout où il y a étendue[34].
Du principe de l’homme, celui-ci est descendu de son état supérieur par sa chute, pour se trouver dans une situation où il est entouré de ténèbres et emprisonné dans un corps de matière. Tous ses efforts actuels doivent tendre à se relever de cette chute. Cependant, dans le silence et le secret de l’être le plus profond, l’homme se trouve aussi être la clé de toutes vérités. En lui apparaît le visible et l’invisible, le corps et l’esprit. La clé étant dans l’humain, Saint-Martin dévoile son but qui est d’expliquer la nature par l’homme, et de ramener la nature et l’homme à leur principe, qui est Dieu.
« La nature et l’homme sont aujourd’hui déchus d’un état primitif de perfection ; mais tous deux, malgré leur chute, conservent une disposition à l’entrer dans l’unité originelle, c’est-à-dire à se coordonner à leur principe. Dieu nous est connu, non seulement par la faculté effective, par l’amour, comme le voulaient les anciens mystiques, mais aussi au moyen d’une faculté tout intellectuelle, par une opération, active et spirituelle, qui est le germe de la connaissance ; l’homme peut contempler dans son être intérieur son principe divin. »[35]
Le mal n’étant que la négation du bien et le bien le principe nécessaire avant toute chose, si l’homme fait le mal, c’est qu’il existe un principe de liberté par lequel il diffère des autres êtres. Cette liberté, qui peut aussi mener au retour vers l’unité, a tendance à s’affaiblir sous l’influence du vice et de l’habitude quand la volonté ne respecte plus les lois de la pureté.
Pour Saint-Martin, la seule démarche possible n’est pas celle de l’Église de laquelle il dit qu’elle n’est que le fruit de l’arbre et non l’arbre lui-même[36]. Cette démarche est celle de rechercher la réalité dans toutes les sphères possibles et sous le voile des apparences ; de comprendre la destinée de l’humain, de la nature et des relations à Dieu et à l’univers afin de permettre la réintégration dans l’unité. Ce qui suppose aussi « la prise en compte des découvertes de la science, en même temps que le combat contre certains de ses aspects. »[37]
Cette réintégration sera un jour totale. Bien que la multitude ignorante soit retardée sans doute, elle ne sera pas rejetée ; ces individus font chacun leur chemin dans leur voie de régénération en attendant le jour final. L’homme de vérité, l’humble disciple de Jésus-Christ, se borne à imiter son divin maître dans la pratique de toutes les vertus évangéliques et dans la soumission et la résignation, au milieu des tribulations de cette vie, surtout dans la confiance et l’amour de cette source divine d’où nous sommes descendus et vers laquelle nous devons remonter. Le souverain Maître commande à tous la piété, la foi et la charité : voilà ce à quoi nous nous sommes tous engagés. S’il juge à propos de nous mettre un jour au rang de ses serviteurs, nous serons alors obligés de nous conformer à tout ce qu’il exigera de nous.
Par le Christ (appelé aussi l’agent universel ou le réparateur divin), l’être humain est devenu capable d’opérer sa réintégration et de travailler à la réintégration de tous les êtres, dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles et divines. Le travail s’effectue dans notre intérieur mieux que par l’intermédiaire angélique ou autre. C’est un travail par la connaissance, l’amour, et l’imagination ainsi que l’utilisation de la Sophia qui met l’être humain en contact avec le Verbe et les puissances intermédiaires. La théurgie devient une sophiurgie ; par la Caritas, l’individu passe de l’homme ordinaire à l’homme de désir puis au nouvel homme dont la mission est d’assurer le ministère de l’Homme-Esprit.
Référence
[1] R. AMADOU. L.-C. de Saint-Martin, Mon portrait historique et philosophique, 1798-1803, Paris, Éditions Julliard, 1961. Tiré de CARO, E. (professeur agrégé de philosophie au Lycée de Rennes). Essai sur la vie de Saint-Martin le Philosophie Inconnu, Éditions L. Hachette, Paris, 1852, p. 32.[2] T. LETOURMY. Saint-Martin, Œuvres Posthumes, Tome 1, p. 5.
[3] Bibliographie de Saint-Martin. Source inconnu..
[4] FELLER-WEISS. Biographie universelle 1849, Article : Saint-Martin, tome 7, p. 400.
[5] E. CARO. (professeur agrégé de philosophie au Lycée de Rennes). Essai sur la vie de Saint-Martin le Philosophie Inconnu, Éditions L. Hachette, Paris, 1852, p. 68.
[6] Ibid., p. 68.
[7] D. HOEFER. Nouvelle biographie générale, 1864, p. 6.
[8] Période courte durant laquelle il entre ouvertement en conflit contre le professeur Garat qui prône un matérialisme incompatible avec Saint-Martin.
[9] E. CARO. Op. cit. p. 39.
[10] SCHAUER et CHUQUET. La correspondance inédite de Louis-Claude de Saint-Martin avec Kirchberger. Correspondance du 4 janvier 1795, Paris, Éditions E. Dentu Libraire, 1862, p. 170.
[11] E. CARO. Op. cit. p. 61.
[12] E. CARO. Op. cit. p. 49.
[13] E. CARO. Op. cit. p. 51.
[14] R. AMADOU. Op. cit. p. 29.
[15] Ibid.
[16] A. FAIVRE. Kirchberger et l’illuminisme du dix-huitième siècle, France, Éditions La Haye, 1966, p. XIII.
[17] A. FAIVRE. L’ésotérisme au XVIIIe siècle en France et en Allemagne, Coll. La table d’émeraude, Paris, Éditions Seghers, 1973, p. 59.
[18] D. HOEFER. Op. cit. p. 6.
[19]E. CARO. Op. cit. p. 5.
[20] Le petit Larousse illustré. Paris, 2002, p. 632.
[21]Dictionnaire critique de l’ésotérisme. Publié sous la direction de Jean Servier, Première édition, Paris, Éditions PUF, 1998, p. 813.
[22] Ibid.
[23] M. GRÉGOIRE. Histoire des sectes religieuses, Tome 2, Paris, Éditions Baudoin Frères, 1828, p. 229
[24] Ibid., p .221.
[25] Tiré d’archives martinistes écrites par Jean-François Var.
[26] D. HOEFER. Op. cit. p. 1.
[27] J.-P. BAYARD. Le guide des sociétés secrètes, Paris, Éditions P. Lebaud, 1989, p. 79.
[28] Dictionnaire critique de l’ésotérisme. Op. cit. p. 812.
[29] D. HOEFER. Op. cit. p. 5.
[30] Œuvres posthumes, t. 1, p. 95.
[31]E. CARO. Op. cit. p. 70.
[32] T. LETOURMY. Saint-Martin, Œuvres Posthumes. Premier volume 406 p., premier volume p. 105.
[33] E. CARO. Op. cit. p. 101.
[34] Société de professeurs et de savants. Dictionnaire des sciences philosophiques, Tome 4, Édition L. Hachette, Paris, 1849, p. 3.
[35] Société de savants et de gens de lettre. Dictionnaire de la conversation et de la lecture, Inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous, Sous la direction de M. W. Duckett, Seconde édition, Tome 5, Paris, Éditions Michel Lévy Frères, 1857, p. 2.
[36] M. GRÉGOIRE. Histoire des sectes religieuses, Tome 2, Paris, Éditions Baudoin Frères, 1828, p. 225.
[37] Dictionnaire critique de l’ésotérisme. Op. cit. p. 812.